S’il existe dans l’univers des astronomes extraterrestres à la recherche de vie sur Terre, ils pourraient bien en trouver la trace dans le spectre caractéristique de la lumière réfléchie par notre végétation, des séquoias de nos forêts aux cactus de nos déserts en passant par les prairies qui recouvrent nos plaines. Cette signature est visible depuis que les premières pousses se sont emparées du paysage rocheux de la Terre, il y a environ 500 millions d’années. Au fil des années et de l’évolution, le signal a gagné en puissance.
À présent, deux astronomes suggèrent que les plantes qui recouvrent de lointaines exoplanètes pourraient émettre une empreinte similaire. Ainsi, peut-être que les premiers signes de la vie en dehors de notre système solaire nous viendront de la lumière réfléchie par les forêts d’une lune comme Endore, ou par les cactus des déserts de Tatouine.
« Avec toutes les planètes que nous découvrons, nous essayons de déterminer ce que pourraient être les signatures de l’habitabilité » indique Lisa Kaltenegger de l’université Cornell, autrice d’une étude publiée dans la revue Astrobiology sur la signature spectrale de la végétation terrestre.
« Notre objectif est d’identifier les signatures qui nous offrent la meilleure chance d’identifier des signes de vie, quitte à n’en retenir qu’une poignée, peut-être deux ou trois. »
Ce n’est pas la première fois que des scientifiques suggèrent de chercher des traces de vie dans la lumière d’une planète lointaine, mais l’équipe de Kaltenegger ne s’arrête pas là : ces réflexions peuvent également nous offrir une bonne estimation du degré d’évolution de la planète en question, en s’appuyant sur notre connaissance des mécanismes terrestres.
« L’idée de trouver de la végétation sur une autre planète n’est pas nouvelle. Toutefois, personne n’a jamais utilisé l’histoire géologique de la Terre comme base de comparaison, » indique Kaltenegger. « Nous n’avons pas d’autre planète habitable, mais nous connaissons [en partie] l’évolution de la Terre et il serait très intéressant de l’étudier. »
Il y a plusieurs dizaines d’années, la sonde Galileo, alors en route vers Jupiter, a fait volte-face pour observer la lumière réfléchie par la Terre. Elle s’est intéressée aux signatures de la biologie à pied d’œuvre en présence de gaz atmosphériques comme l’ozone et le méthane. Plus récemment, les astronomes ont décortiqué le clair de Terre, la lumière renvoyée par la Terre qui éclaire parfois timidement la partie sombre de la nouvelle Lune. Là aussi, ils ont identifié les empreintes de la vie.
Désormais, les scientifiques à la recherche de vie extraterrestre se demandent comment la biologie pourrait laisser des traces moléculaires dans l’atmosphère d’autres planètes, soit en produisant des éléments particuliers ou en perturbant le mélange de gaz qui enveloppe la planète.
« Ces dernières années, la détection de biosignatures à distance sur les exoplanètes est devenue l’une des problématiques les plus prometteuses de l’astrophysique, mais également l’une des plus complexes » déclare Michael Sterzik de l’Observatoire européen austral.
La signature ciblée par Kaltenegger est quant à elle légèrement différente. Pour des raisons qui restent encore à déterminer, les plantes photosynthétiques réfléchissent plus fortement certaines longueurs d’onde de la lumière infrarouge, avec un facteur de réflexion variable selon la plante. Ce pic de réflectance est visible dans une portion du proche infrarouge appelée Red-Edge, qui rassemble les longueurs d’onde légèrement supérieures aux couleurs perçues par nos yeux, mais tout à fait détectables par le matériel adéquat.
La détection de cette signature appelée Vegetation Red Edge (VRE) dépend de plusieurs facteurs, parmi lesquels le degré de couverture végétale de la planète, sa température, la couverture nuageuse et bien entendu la sensibilité du télescope utilisé.
À en croire l’expérience de Sterzik qui a analysé le clair de Terre en 2012 à la recherche de cette même signature, elle serait plutôt difficile à détecter. Lorsque Galileo s’y est intéressé, la signature était à peine visible et la sonde se trouvait pourtant bien plus près de la Terre que tout autre éventuel télescope extraterrestre. Les instruments actuels ne sont pas suffisamment sensibles pour détecter un tel signal sur des exoplanètes. En revanche, certains candidats parmi les observatoires en cours de développement pourraient relever le défi, à commencer par l’Extremely Large Telescope, ou Télescope géant européen.
« C’est tout à fait faisable. La tâche est ardue et la signature est faible, mais elle existe » assure Kaltenegger.
Dans le cadre de leurs travaux, Kaltenegger et Jack O’Malley-James de l’université Cornell ont souhaité évaluer l’âge de ce phénomène sur Terre. En d’autres termes, depuis quand les empreintes de la végétation terrestre sont-elles visibles ?
D’après le registre fossile, les scientifiques savent que les premières mousses ont colonisé la surface aride de la Terre il y a environ 500 millions d’années. Dès leur apparition, les végétaux ont absorbé la lumière du Soleil pour la transformer en énergie. Au fil du temps, ces plantes primitives se sont diversifiées pour donner naissance à une explosion de fougères, d’arbres et de fleurs, allant parfois jusqu’à recouvrir 90 % de la surface planétaire.
En simulant la lumière réfléchie par les plantes à travers un modèle de l’atmosphère terrestre, Kaltenegger et O’Malley-James ont estimé que la signature générée par les plantes était détectable dès leur apparition dans la palette de paysages terrestres. Au départ, le signal était faible, mais il a gagné en puissance à mesure que la végétation se propageait à la surface de la Terre, même si la réflectance totale de la planète durant les périodes glaciaires a probablement rendu difficile de distinguer la signature végétale naissante.
En outre, les chercheurs pensent que le signal pourrait même se faire encore plus brillant à l’avenir, en fonction de l’attention que nous portons à notre planète. Si nous la transformons en désert constellé de cactus à haut pouvoir de réflectance, les formes de vie sur Terre seront facilement détectables par les astronomes extraterrestres. En revanche, si nous développons une atmosphère plus opaque chargée de gaz à effet de serre, alors notre planète verdoyante ne sera plus détectable par d’éventuels curieux extraterrestres… sans parler des autres conséquences.
Comme le suggère le binôme, l’analyse de la lumière réfléchie par des exoplanètes à la recherche de ce signal pourrait être l’un des outils utilisés pour faire le tri parmi les milliers de planètes potentiellement habitables découvertes à travers l’univers par des missions comme Kepler et TESS.
« Il va nous falloir énormément de temps pour étudier chacune de ces planètes en détail, même avec de grands télescopes, c’est pourquoi nous allons devoir sélectionner les plus prometteuses, » résume Kaltenegger.
En s’appuyant sur cette étude, la scientifique suggère que les jumelles de la Terre plus âgées, avec une température plus élevée, représenteraient les meilleures cibles pour les télescopes à la recherche de signes de vie, car la réflexion de la lumière par la végétation augmente à mesure que la planète vieillit. Elle précise toutefois que cette signature ne pourrait pas fournir à elle seule une preuve définitive de l’existence d’une biosphère extraterrestre. Divers minéraux sont capables d’imiter le signal infrarouge, indique Kaltenegger, c’est pourquoi elle aimerait également détecter une combinaison de gaz atmosphériques convaincante.
Si une telle signature était détectée dans un autre monde, il serait alors possible de déterminer à quel rythme l’évolution est à l’œuvre sur cette planète. Nous pourrions déduire son âge de celui de son étoile et nous serions en mesure de comparer sa couverture végétale par rapport à l’âge auquel une couverture équivalente recouvrait la Terre.
« Les facteurs affectant le rythme de l’évolution sur une planète sont sujets à débat, admet Kaltenegger, et nous n’avons qu’un seul exemple : le nôtre. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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