L’emprise mentale est le point commun à toutes les dérives sectaires, qu’il s’agisse des mouvements New Age ou d’autres plus anciens comme les Témoins de Jéhovah.
Timothée Delbano est né et a grandi à Nice, au sein des Témoins de Jéhovah. Ce mouvement génère de nombreuses saisines auprès de la Miviludes: 62 traitées en 2020, 99 en 2021. Elle décrit les Témoins de Jéhovah comme un mouvement millénariste, «contestant l’ordre social et politique existant, réputé décadent et perverti, et attendant une rédemption collective en se référant à une croyance en un paradis perdu ou au retour d’un homme charismatique.»
Cet homme serait le Christ, qui choisirait ceux qui survivront à la fin du monde imminente, «l’Armageddon». C’est dans ce climat que Timothée Delbano a vécu jusqu’à ses 17 ans. Il en a aujourd’hui 32.
«J’ai pris la liberté de penser»
L’emprise mentale, les privations qui l’empêchaient de vivre, le fait d’être «la personne bizarre à l’école parce que la seule à porter un costume», le fait de prendre des coups au collège, tout en pleurant en cachette parce que les autres enfants n’allaient pas survivre à l’Armageddon, ne sont pas qu’un mauvais souvenir. C’est aujourd’hui «une colère contenue.»
Comment est-il sorti de ce mouvement? «Enfant, je me posais beaucoup de questions. Un jour mes parents m’ont dit: «Ne dis pas de gros mots, sinon ta langue va pourrir dans ta bouche.» La première chose que j’ai faite, c’était de sortir tous les gros mots que je pouvais et d’aller vérifier si ma langue avait pourri. Peut-être que j’avais quelque chose d’inné, me méfiant de tout et qu’avec le temps, j’ai pris la liberté de penser que des choses ne me convenaient pas. Généralement, dans les mouvements sectaires, cette liberté de penser, cette petite place dans le cerveau, qui permet de douter, est interdite.»
Ce qui ne lui convenait pas c’est «l’omniprésence de la religion, sur des principes parfois dangereux. Le refus de transfusion sanguine, qui met en danger alors que c’est quelque chose de simple.» C’est aussi les nombreuses contraintes, comme les réunions plusieurs fois par semaine. À l’époque, enfant, il devait aussi faire de la prédication. «Je me suis rendu compte que j’avais des désirs qui n’étaient pas ceux qui m’étaient enseignés. Je ne comprenais pas pourquoi beaucoup de choses étaient condamnées, par exemple se faire tatouer.»
«Pouvoir faire des choix, même débiles»
Dehors, il a eu la chance de vivre des amours, de rencontrer des amis.
«Ils m’ont ancré dans une forme de réalité, même si j’ai vécu une errance intellectuelle, spirituelle et philosophique pendant 5 ou 6 ans. Je n’ai pas appris à analyser les choses. Alors je suis passé par toutes les formes de complotisme et toutes les croyances, même les plus stupides. À l’époque, il n’y avait pas encore l’histoire de la Terre plate, mais j’ai cru aux extraterrestres, aux fantômes, aux démons, aux possessions. Grâce à internet, j’ai découvert des façons de penser plus scientifiques. Comment on réfléchit, qu’est-ce qu’un argument, une méthode? Cela a fait tomber toutes les croyances qui me restaient.»
Quinze ans après avoir quitté ce mouvement, il commence à vivre, va bientôt reprendre des études. «J’ai raté des trucs. J’en ai fait le deuil. Je ne dirai pas que je suis heureux, mais j’apprécie le fait d’être libre de penser, de pouvoir lire ce que je veux, d’écouter la musique que je veux, de faire des choix, même s’ils sont débiles.»
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